La France compte 281 métiers d’arts : nos Rois, nos Empereurs, nos Présidents les soutiennent depuis toujours ! Au-delà des clichés et du tourisme associé à ces savoir-faire, ils représentent un atout économique et industriel très important, qui doit continuer à être développé.
Le 17 octobre 2024, Bertrand Grimm, Partner Valtus, recevait Anne-Sophie Duroyon-Chavanne, Directrice de l’Institut pour les Savoir-Faire Français (ex INMA) et Bruno Lavagna, expert économique international et auteur de « Géopolitique du Luxe » pour échanger sur les spécificités des métiers d’arts en France et leur rayonnement international.
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Ecosystème des savoir-faire d’exception en France
Chacun des 281 métiers d’arts en France, listés par décret, se déclinent en de multiples savoir-faire. « Il n’y a pas d’autre pays au monde qui compte autant de métiers dans une pratique professionnelle ; parce que l’on peut avoir de la pratique amateure ou de la pratique familiale » explique Anne-Sophie Duroyon-Chavanne.
En chiffres*
- 60 000 entreprises de toutes taille, avec des profils très diversifiés : indépendants, TPE, manufactures, artistes auteurs…
- 160 000 professionnels
- 19 Md€ de CA cumulé
- 35 % d’entreprises exportatrices
La France domine le marché du luxe qui compte près d’un milliard de consommateurs à l’échelle mondiale
Le panel des savoir-faire d’exception, particulièrement vaste, couvre 6 univers de marché distincts :
- Mode et beauté
- Ameublement et décoration
- Culture et communication
- Loisirs et transports
- Architecture et patrimoine bâti
- Arts de la table
Si le luxe est conditionné par des éléments politiques et géopolitiques, Bruno Lavagna demeure optimiste :
« Le luxe souffre aujourd’hui mais je suis convaincu que le marché reste extrêmement porteur et résilient, suffisamment agile pour toucher aussi bien les plus jeunes que les seniors. Le luxe, c’est un art de vivre, c’est se faire plaisir. Donc le luxe est pérenne. »
Dynamisme territorial
Les savoir-faire d’exception participent à la revitalisation des économies locales.
« Nous avons la chance d’avoir en France des métiers d’arts qui sont encore des acteurs de notre économie, très ancrés dans les régions, avec une répartition sur l’intégralité du territoire. »
Anne-Sophie Duroyon-Chavanne
« Le luxe, le savoir-faire d’exception français dynamise le tissu régional. Les maisons savent utiliser les savoir-faire et implantent des usines là où il existe une spécificité locale. »
Bruno Lavagna
La transmission, un enjeu clé pour pérenniser les savoir-faire
Bien qu’il existe plus de 8000 formations aux métiers d’art sur l’ensemble du territoire, certaines s’avèrent difficiles à maintenir et un nombre croissant de grandes maisons se mobilisent pour créer leur propre centre de formation en interne. Elle se sentent une « responsabilité dans leur chaîne de valeur », combinée à une « responsabilité d’ambassadeur » qui les incite à prendre en main le sujet de la formation, précise Anne-Sophie Duroyon-Chavanne.
Bruno Lavagna estime également que la « volonté d’aller chercher les meilleures têtes, les meilleures mains, les plus douées » est plus que jamais d’actualité. Les opportunités de carrière dans l’univers des métiers d’arts sont multiples mais les difficultés de recrutement demeurent bien réelles : il faut compter entre 12 et 18 mois pour recruter dans les métiers manuels.
Pour encourager les vocations, une stratégie nationale en faveur des métiers d’art a été mise en place en 2023. À travers ses propres dispositifs, L’Institut pour les Savoir-Faire Français touche 100 000 jeunes par an. Par exemple, son programme intitulé La relève des savoir-faire d’exception, permet de sensibiliser les étudiants de grandes écoles aux perspectives professionnelles offertes dans les métiers d’art.
Créer du lien entre les générations
Pour transmettre et pérenniser les savoir-faire, développer une forte collaboration intergénérationnelle est un atout indéniable.
« Il y a ceux qui sont détenteurs du savoir-faire depuis très longtemps et il y a les nouveaux jeunes qui sortent d’école de formation. Et chacun à quelque chose à apporter à l’autre. Quelqu’un qui pratique un métier d’art depuis 40 ans excelle dans son métier. Il a une dextérité du geste et une maîtrise de son métier qui est remarquable. Lorsqu’un jeune débute, Il faut compter 10 ans pour faire une main ! En revanche, le jeune apporte à l’entreprise une sensibilité aux nouvelles technologies et à l’environnement. »
Anne-Sophie Duroyon-Chavanne
Les « petites mains » sortent de l’ombre
Auparavant cachées, les « petites mains » sont désormais valorisées par les grandes maisons. Malgré ce changement de paradigme, le chemin reste long pour susciter de nouvelles aspirations et s’assurer de préserver des métiers qui ont entre 100 et 300 ans d’existence.
« Dans le luxe, le métier manuel est sous-estimé et possède une valeur inestimable. »
Bruno Lavagna
Pour Anne-Sophie Duroyon-Chavanne, cette mise en lumière du caractère manuel des métiers revêt une signification profonde : « La main, c’est vraiment ce qui a donné la possibilité à l’homme de devenir ce qu’il est, quand il a utilisé son esprit, son cœur et sa main pour créer des outils et qu’il s’est mis debout. En fait, c’est aussi l’histoire de notre humanité. »
« Chaque nation a son luxe. »
Pour Bruno Lavagna, l’avenir du luxe s’inscrit dans une dimension résolument mondiale. Les marchés clés incluent des pays établis comme le Japon, les États-Unis, l’Italie, la France et l’Allemagne. En parallèle, des marchés émergents, reconnus pour leur excellence, connaissent une forte progression, tels que le Vietnam, les Philippines, le Mexique, l’Afrique du Sud et le Maroc.
Pour se développer à l’international, les entreprises françaises doivent « chasser en meute » et miser sur le savoir-faire français, reconnu dans le monde entier, explique Anne-Sophie Duroyon-Chavanne. Elles peuvent notamment s’appuyer sur le Plan Métiers d’art à l’export de Business France. D’une manière générale, il est essentiel de bien étudier le marché cible et ses besoins en amont.
« Il faut faire des produits qui permettent de s’exporter sans pervertir qui on est. »
Anne-Sophie Duroyon-Chavanne
Par ailleurs, des collaborations internationales se créent avec des maisons de différents pays : une opportunité pour se développer conjointement, sans nécessairement être en concurrence.
L’innovation au service d’un luxe durable
De la refonte de la chaîne de valeur en termes de transport et d’achat à la prise en compte des tendances de déconsommation en passant par le développement d’initiatives numériques telles que les fashion digital show, l’industrie du luxe se réinvente pour répondre aux enjeux RSE.
Un exemple emblématique de cet engagement est la création par LVMH d’un centre de recherche dédié aux matériaux de demain, visant à optimiser l’usage des ressources actuelles tout en explorant des alternatives durables.
« Je dirais qu’une maison qui produit est RSE par essence. Elle travaille une matière noble et rare, dont on va prendre soin. Elle gère ses chutes et réfléchit à sa chaine de valeur. »
Anne-Sophie Duroyon-Chavanne
À propos des intervenants
Anne-Sophie Duroyon-Chavanne a longtemps œuvré à la mise en valeur des patrimoines matériels et immatériels au sein de grandes maisons. Depuis 2020, elle est la Directrice Générale de « L’Institut pour les Savoir-Faire Français ». Anne-Sophie contribue à sa restructuration dans le but de lui redonner sa place en tant qu’acteur majeur de l’écosystème des métiers d’art et du patrimoine vivant.
Directeur-fondateur de Be.Exclusive, Bruno Lavagna est expert international des entreprises du luxe et des savoir-faire d’excellence (métiers d’art, yachting, mode et accessoires, parfums et cosmétiques, hôtels et restauration, gastronomie, horlogerie et joaillerie…) et consultant en géostratégie du luxe. Il intervient en Europe dans différents Masters du luxe et est l’auteur de Géopolitique du luxe.
* Des chiffres à prendre avec précaution dans l’attente des résultats de l’enquête Les Eclaireurs de l’Institut pour les Savoir-Faire Français le 26 novembre 2024