Emploi des séniors en Europe : quels modèles de réussite ?

VALTUS - Emploi des seniors en Europe
26 Juin 2024

 

L’objectif fixé depuis plus de vingt ans par la stratégie de Lisbonne (2000) et le Conseil européen de Stockholm (2001) est d’augmenter le taux d’activité des séniors. En Europe, la durée de la vie professionnelle s’allonge progressivement, influencée par la baisse des taux de natalité, l’augmentation de l’espérance de vie et les mouvements migratoires, modifiant ainsi l’équilibre entre actifs et retraités. Cette évolution pose de nombreux défis pour la cohésion sociale, notamment concernant la viabilité des systèmes de retraite et de Sécurité sociale dans des sociétés vieillissantes.

Cet article se penche sur l’emploi des séniors en Europe, et plus particulièrement sur les modèles de réussite, explorant les mesures adoptées par différents pays.

 

1. Les chiffres du vieillissement de la population européenne

L’Europe traverse une transformation démographique sans précédent, caractérisée par un vieillissement rapide de sa population¹. Les progrès médicaux, une meilleure qualité de vie, et un faible taux de natalité contribuent à cette évolution. Alors que la proportion de personnes âgées augmente, la structure démographique de nombreux pays européens se voit bouleversée.

  • Population totale UE : 448,8 millions.
  • Enfants (0-14 ans) : 14,9 %.
  • Personnes en âge de travailler (15-64 ans) : 63,8 %.
  • Personnes âgées de 65 ans et plus : 21,3 %.

VALTUS - Part d'enfants en Europe

 

VALTUS - Part des personnes âgées (65 ans et plus) en Europe

 

Âge médian de la population :

  • Le plus élevé : Italie (48,4 ans)
  • Le plus bas : Chypre (38,4 ans)
  • Âge médian UE : 44,5 ans (+ 2,3 ans par rapport à 2013)

Ratio de dépendance des personnes âgées :

En Europe, pour chaque personne âgée de plus de 65 ans, un peu plus de trois personnes sont en âge de travailler (33,4 %). Ce ratio diffère selon les pays :

  • Il est le plus bas : au Luxembourg (21,5 %) et en Irlande (23,2 %)
  • Il est le plus élevé au Portugal (38,0 %), en Italie (37,8 %) et en Finlande (37,8 %).

 

2. Les défis du vieillissement démographique en Europe

Le vieillissement démographique en Europe présente des défis significatifs² au niveau social, économique et territorial.

Pénurie de main-d’œuvre

La réduction de la population active, accentuée par le départ à la retraite des ‘baby-boomers’, crée des pénuries importantes dans divers secteurs, notamment les STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques), les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), la construction, les soins et le transport.

Pressions économiques

La diminution de la force de travail et l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre sans gains de productivité nuisent à la compétitivité des entreprises européennes face à leurs concurrents mondiaux.

Augmentation des dépenses publiques

Le vieillissement de la population entraîne une hausse des dépenses en soins de santé, soins de longue durée et retraites, mettant sous pression les budgets publics et réduisant les ressources disponibles pour d’autres priorités telles que les transitions écologique et numérique.

Disparités territoriales et sociales

Certaines régions, en particulier les zones rurales et moins développées, affrontent une combinaison de défis, y compris le vieillissement, la migration des jeunes et des travailleurs qualifiés, limitant leur compétitivité et leur capacité à attirer des investissements.

Nécessité d’adaptations infrastructurelles

Le vieillissement de la population exige des investissements dans des solutions de mobilité et des infrastructures adaptées, profitant à l’ensemble de la population.

 

3. Zoom sur l’emploi des séniors en Europe

En mai 2024, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans était de 63,9 %, soit une augmentation de 20 points en vingt ans (source : Eurostat). Si la tendance à l’augmentation est généralisée à travers l’Europe, les disparités entre les pays sont marquées :

VALTUS - Taux d'emploi des 55-64 ans en 2024 en Europe

 

À côté des disparités en matière d’âge, il existe, entre les travailleurs âgés de 55 à plus de 65 ans et les plus jeunes, des différences notoires à plusieurs niveaux. En voici quelques exemples :

  • Les secteurs d’activité :
    • Hommes : les hommes de plus de 65 ans sont particulièrement présents dans l’agriculture, notamment en Irlande et en Suède. Ils travaillent également dans l’industrie manufacturière en Estonie, ainsi que dans le secteur de l’éducation.
    • Femmes : les femmes séniores sont majoritairement actives dans les secteurs de la santé et des services sociaux. En Estonie, elles travaillent principalement dans les services à la personne.
  • Les statuts
    • En Europe, 38 % des personnes âgées de 65 à 74 ans et 57 % des plus de 75 ans sont des travailleurs indépendants, un taux nettement plus élevé que celui des générations plus jeunes.
  • Les horaires de travail :
    • Temps partiel : plus de 59 % des séniors travaillent à temps partiel (ce taux atteint 75 % pour les plus de 75 ans).
      Là encore, des disparités existent entre les pays : par exemple, 83 % des séniors néerlandais bénéficient d’horaires flexibles, contre seulement 13 % en Grèce.

 

En matière d’emploi des séniors, les disparités entre les pays européens s’expliquent par plusieurs facteurs :

  • L’âge légal de la retraite varie d’un pays à l’autre, influençant la durée de la carrière. Par exemple, l’Estonie présente un taux élevé d’emploi pour les 65-69 ans et les 70-74 ans malgré un âge légal de la retraite de 64 ans. Les Estoniens sont nombreux à travailler au-delà de l’âge de départ à la retraite en raison du montant assez modeste de la pension. À cela s’ajoute des facteurs sociaux : la culture estonienne valorise le travail et l’activité. Par ailleurs, de nombreux Estoniens n’ont pas de régime de retraite complémentaire, ce qui signifie qu’ils sont dépendants de la pension publique. En Suède, où l’âge légal varie entre 63 et 69 ans, davantage de séniors continuent à travailler.
  • Les politiques nationales et mesures de soutien. Certains pays mettent en place des politiques actives pour encourager les travailleurs âgés. En Suède, par exemple, des contrats spéciaux et des contrôles de santé annuels permettent aux conducteurs de bus de travailler jusqu’à 70 ans.
  • La prévalence des secteurs d’activité. En Roumanie, par exemple, la majorité des séniors sont employés dans l’agriculture, tandis qu’en Irlande et en Suède, les hommes travaillent principalement dans l’agriculture et les femmes dans les services de santé et sociaux.
  • L’organisation du travail. Entre les différents pays européens, la flexibilité des horaires de travail varie considérablement.
  • Les motivations économiques et sociales des intéressés, qui souhaitent continuer à travailler pour des raisons pécuniaires ou, tout simplement, pour profiter d’un lien social et satisfaire leur sentiment d’appartenance.
  • L’éducation : d’une manière générale, les personnes ayant des niveaux d’éducation plus élevés tendent à travailler plus longtemps.

 

Les mesures et politiques pour l’emploi des séniors à travers l’Europe

Face au défi démographique, les gouvernements prennent des mesures pour encourager et faciliter l’allongement de la vie active. Nous avons choisi de nous pencher sur quatre exemples : l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et le Danemark.

Allemagne

En Allemagne, bien que le taux d’emploi soit supérieur à la moyenne européenne, il diminue significativement entre les groupes d’âge de 55-59 ans (80,7 %) et 60-64 ans (63,2 %). Depuis 2006, le réseau démographique DDN, soutenu par le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales, promeut des pratiques exemplaires pour des stratégies d’emploi durables.

Le programme UnternehmensWert : Mensch, lancé en 2014, aide les PME à développer des stratégies RH centrées sur les employés face aux changements démographiques et de digitalisation. Des centres de conseil en gestion des ressources humaines et des conseillers de processus sont actifs à travers le pays pour soutenir cette initiative.

Pour encourager la formation continue, l’Agence fédérale pour l’emploi couvre jusqu’à 100 % des coûts de formation des employés âgés de plus de 50 ans. L’initiative WeGebAU se concentre sur la formation des travailleurs peu qualifiés en fin de carrière. Des outils comme ProfilPass et Job Futuromat aident à la réorientation professionnelle et à l’adaptation aux évolutions numériques.

Le programme Perspektive Wiedereinstieg aide les personnes souhaitant se réorienter professionnellement, notamment les femmes qui reprennent le travail après une longue pause. Les agences municipales de l’emploi et des associations comme MICE offrent également un soutien à l’emploi des séniors.

Enfin, la loi Flexirentengesetz (« retraite flexible ») vise à rendre le travail flexible jusqu’à l’âge de la retraite plus attractif, bien qu’elle soit peu utilisée. Des initiatives comme le DigitalPakt Alter et le Digital-Kompass visent quant à elles à renforcer les compétences numériques des séniors et leur participation sociale.

Suède³

La Suède est l’un des pays européens où l’on travaille le plus longtemps. En 2022, le taux d’emploi des 55-64 ans était de 77,3 %. Ce taux élevé est en partie dû au soutien apporté aux séniors sur le marché du travail, ancré dans une forte tradition syndicale qui remonte aux années 1930. Les accords collectifs entre employeurs et employés permettent une transition en douceur vers la retraite et assurent l’employabilité des travailleurs tout au long de leur carrière, notamment par des formations continues.

Les mesures basées sur la règle de la séniorité, telles que le principe « premier entré, dernier sorti » (ou FILO), encouragent la rétention des travailleurs expérimentés. En outre, des programmes comme Nystartsjobb offrent une compensation aux employeurs qui embauchent des personnes éloignées du marché du travail, avec des règles spécifiques pour les plus de 55 ans, bien que ces dernières aient pris fin en 2017.

La Suède promeut également l’apprentissage tout au long de la vie, avec des programmes de formation pour adultes à l’échelle municipale et dans les institutions éducatives. Les étudiants peuvent obtenir des bourses et des prêts jusqu’à l’âge de 60 ans.

La loi sur la discrimination, adoptée en 2009 et amendée en 2017, interdit la discrimination fondée sur l’âge et oblige les employeurs à prendre des mesures proactives. Un médiateur pour l’égalité veille au respect de cette loi.

Enfin, la loi suédoise sur l’environnement de travail impose l’adaptation et la réhabilitation des lieux de travail pour répondre aux besoins spécifiques des travailleurs âgés, en optimisant leurs compétences et expériences.

Pays-Bas³

Aux Pays-Bas, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans est élevé, atteignant 73,1 %. Depuis 2013, ce taux a particulièrement augmenté chez les femmes. Les politiques néerlandaises ont évolué pour répondre au vieillissement de la population, notamment en supprimant les régimes de retraite anticipée et en augmentant l’âge de la retraite.

L’Agenda Politique 2020 (Beleidsagenda 2020) vise à améliorer la position des travailleurs âgés avec des initiatives comme le « budget vitalité » et le « pacte générationnel ».

Le programme « Partenaires Sociaux Ensemble pour l’Emploi Durable » (SPDI) propose des mesures pour soutenir les employeurs et les travailleurs, incluant des subventions et des soutiens spécifiques pour les PME. Par ailleurs, des aides financières comme l’IOW et l’IOAZ sont disponibles pour les chômeurs âgés et les travailleurs indépendants de plus de 55 ans.
Enfin, des initiatives pour des environnements de travail sains et des formations sont mises en place, assurant la santé et la sécurité des travailleurs âgés et leur employabilité durable.

Danemark

Face au vieillissement de sa population, le Danemark a décidé d’indexer l’âge de la retraite sur l’espérance de vie. Actuellement fixé à 67 ans, cet âge reculera progressivement pour atteindre 74 ans pour les jeunes générations. Ce mécanisme, introduit par un accord en 2011, permet au Parlement de voter tous les cinq ans sur une augmentation de l’âge de la retraite de six mois à un an, ajustant ainsi les dates à l’espérance de vie. Par exemple, les personnes nées en 1963 pourront prendre leur retraite à 68 ans, celles nées en 1979 à 72 ans, et celles nées en 1996 à 74 ans.
Cette approche permet au gouvernement de réduire ses dépenses en pensions de retraite et d’augmenter les recettes fiscales, tout en maintenant un modèle de retraite à deux piliers. Le premier pilier, « Folkepension », est une pension sociale universelle basée sur les ressources financières de chaque retraité, accessible après quarante ans de résidence au Danemark. Le second pilier est un système de capitalisation obligatoire, correspondant à un pourcentage du salaire.

Pour encourager l’emploi des séniors, plusieurs mesures ont été mises en place. Il est par exemple interdit de demander l’âge des candidats lors des recrutements. De plus, les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans ayant épuisé leurs droits au chômage peuvent bénéficier d’un emploi sénior dans le secteur public. Ces initiatives ont porté leurs fruits : le taux d’emploi des 55-64 ans est passé de 57 % en 2011 à 72,3 % en 2021, l’un des plus élevés en Europe.

 

L’Europe fait face à un défi démographique majeur avec le vieillissement de sa population qui pose des questions sur la viabilité des systèmes de retraite et de Sécurité sociale. Des pays comme l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et le Danemark présentent des modèles de réussite en matière d’emploi des séniors. Par le biais de politiques innovantes et d’initiatives, ces pays maintiennent un taux d’emploi élevé chez les travailleurs âgés, garantissant ainsi la participation active des séniors au marché du travail et la réduction des dépenses publiques.

 

Sources :
¹ Demographic change in Europe : a toolbox for action, Commission européenne, octobre 2003
² Looking at the moves of older people in the EU, Ageing Europe, 2020 edition
³ AGE Platform Europe – Barometer 2023

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