La relocalisation industrielle, un concept au cœur des stratégies économiques contemporaines, se définit comme le processus par lequel une entreprise rapatrie une partie ou l’intégralité de ses activités de production dans son pays d’origine (source : Banque des Territoires).
Ce phénomène s’inscrit dans un contexte de mondialisation où les défis environnementaux, économiques et sociaux, les tensions géopolitiques et l’impact de la crise du Covid-19 incitent les nations à repenser leurs modèles de production et de consommation. Cette démarche, qui vise à rapprocher les lieux de production des consommateurs finaux, gagne en importance, notamment en Europe et en France, où elle est perçue comme un levier de souveraineté et de résilience économique.
Les différentes formes de relocalisation industrielle
La relocalisation industrielle peut prendre plusieurs formes, chacune répondant à des objectifs stratégiques spécifiques.
Relocalisation complète d’unités de production
Cette approche implique le transfert d’installations de production entières depuis des pays étrangers vers le pays d’origine. Cette forme concerne principalement les industries lourdes comme la sidérurgie ou la production automobile.
Rapprochement des unités de production
Cette action se porte sur le choix d’un périmètre géographique au sein duquel seront regroupées les unités de production, par exemple l’Europe.
Création de nouvelles capacités de production
Plutôt que de transférer des installations existantes, certaines entreprises choisissent de construire de nouvelles usines dans leur pays d’origine, en utilisant notamment des technologies de production avancées et durables.
Partenariats stratégiques et développement de filières intégrées localement
Les entreprises peuvent également opter pour des partenariats avec des acteurs locaux pour créer des écosystèmes industriels complets, renforçant ainsi les chaînes de valeur nationales.
Tendance globale des relocalisations industrielles
La tendance des relocalisations industrielles est de plus en plus marquée, comme le révèle une étude de Capgemini parue en avril 2024. Parmi les faits et chiffres qui illustrent cette évolution.
Les investissements prévus
Au cours de la période 2023-2026, les investissements industriels liés à la relocalisation devraient atteindre 3 400 milliards de dollars dans les 11 pays étudiés par l’enquête de Capgemini, soit une augmentation de 40 % par rapport aux trois années précédentes.
Répartition par pays
Sur les 11 pays étudiés, 72 % des entreprises interrogées ont déjà mis en place une stratégie de relocalisation ou envisagent de le faire. Les États-Unis arrivent en tête en termes de montant d’investissements prévus, suivis de près par l’Allemagne et la France.
- 1 400 M$ pour les États-Unis
- 673 M$ pour l’Allemagne
- 340 M$ pour la France
À noter également pour l’Hexagone : 40 % des dirigeants de PME et d’ETI industrielles françaises affirment avoir déjà relocalisé une partie de leurs activités et 52 % envisagent de le faire dans les prochaines années (source : enquête BPI, 2023).
Les secteurs concernés par la relocalisation industrielle
Si la relocalisation touche tous les secteurs industriels, certains sont particulièrement ciblés, notamment l’automobile, l’aéronautique, l’agroalimentaire, la santé et l’électronique.
Les motivations des entreprises
L’étude de Capgemini met en lumière les principales motivations des entreprises pour relocaliser :
- La sécurisation des approvisionnements (43 %)
- La réduction des coûts de transport (38 %)
- La réponse aux attentes des consommateurs en matière de production locale (32 %)
- La maîtrise de la chaîne de valeur (29 %)
En France, les investissements dans le cadre du plan France Relance
Dans le contexte économique et stratégique post-crise sanitaire et géopolitique, la France a réaffirmé sa volonté de renforcer sa souveraineté industrielle. Pour y parvenir, le gouvernement a lancé un dispositif de relocalisations sectorielles dans le cadre du Plan France Relance. Ce dispositif vise à répondre aux enjeux de relance économique dans cinq secteurs critiques :
- La santé
- L’agroalimentaire
- L’électronique
- La 5G
- Les intrants
Mis en place entre août 2020 et juillet 2021, ce dispositif a un objectif double :
- Structurer la diminution des dépendances de l’industrie française
- Apporter un soutien conjoncturel à ce secteur vital de l’économie nationale
Au total, 838 millions d’euros ont été alloués sous forme de subventions à 531 projets d’investissements industriels. À ce jour, 42 % des crédits ayant été versés aux bénéficiaires, il est encore trop tôt pour évaluer pleinement les résultats de ces soutiens. Selon la Cour des comptes, l’impact socio-économique initial du dispositif semble modeste, et les défis quant à l’identification et à la mesure des résultats – notamment la réduction des vulnérabilités industrielles – sont nombreux.
Évolution des politiques industrielles en Europe
L’initiative intitulée « La Stratégie pour la politique industrielle de l’UE : une vision à l’horizon de 2030 » qui vise à renforcer l’industrie européenne marque un tournant majeur dans les politiques industrielles de l’Union européenne. Adoptée par la Commission européenne en mars 2020 et mise à jour en mai 2021, cette stratégie vise à accroître la compétitivité, la résilience et la durabilité de l’industrie européenne.
Structurée autour de quatre axes principaux, cette initiative ambitionne de transformer le paysage industriel de l’Europe.
Renforcer la résilience du marché unique
Cette action s’articule autour de :
- la promotion de chaînes d’approvisionnement plus résilientes,
- la facilitation de l’adaptation des entreprises européennes aux défis numériques et climatiques,
- l’amélioration des règles du marché unique pour assurer une concurrence équitable.
Soutenir l’autonomie stratégique ouverte de l’Europe
L’Union européenne s’engage à :
-
- identifier les dépendances stratégiques dans des secteurs critiques comme les semi-conducteurs et les matières premières critiques,
- développer des capacités industrielles européennes dans ces domaines,
- encourager la coopération industrielle entre les entreprises européennes.
Accélérer la double transition
L’accélération de la double transition (digitaliser et décarboner) est accompagnée d’un soutien accru à la recherche et à l’innovation dans les technologies vertes et numériques, ainsi qu’à l’investissement dans le déploiement de technologies propres et à la décarbonation des entreprises.
Exploiter le plein potentiel du marché unique numérique
L’Union européenne s’engage à mettre en place un cadre réglementaire solide pour favoriser l’innovation dans le secteur numérique, à investir dans les infrastructures et à développer les compétences numériques des citoyens européens.
Cette initiative, en cours de déploiement, est soutenue par divers outils financiers tels que le Plan d’investissement pour l’Europe, le Programme Horizon Europe et le Fonds pour une transition juste. Elle a également donné lieu à des actions concrètes telles que la création d’un consortium européen pour la production de batteries, le développement d’une infrastructure européenne pour le cloud computing, l’adoption d’un plan d’action pour l’économie circulaire et l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour les compétences industrielles.
Intérêts et enjeux de la relocalisation d’activités industrielles
La relocalisation industrielle offre une série d’avantages stratégiques.
En premier lieu, elle contribue à renforcer la souveraineté économique des pays en réduisant leur dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers, notamment dans des secteurs essentiels comme la santé (source : La Fabrique de l’industrie).
Ensuite, la relocalisation favorise la durabilité environnementale en réduisant l’empreinte carbone des produits grâce à une diminution des distances de transport, alignant ainsi la production industrielle avec les objectifs environnementaux mondiaux.
Enfin, elle conduit à un contrôle plus affiné des processus de production, assurant ainsi une qualité optimale des produits et répondant aux normes en vigueur, mais aussi aux attentes croissantes des consommateurs en matière de transparence et de traçabilité.
Défis et considérations économiques
En dépit de ses nombreux avantages, la relocalisation industrielle n’est pas exempte de défis économiques.
D’abord, les différences de coûts de main-d’œuvre et de matériaux entre les pays peuvent rendre les produits relocalisés plus coûteux.
La mise en place de nouvelles installations de production nécessite, la plupart du temps, des investissements initiaux conséquents, avec des risques associés en termes de rentabilité à court terme.
Enfin, le développement des compétences locales est essentiel pour garantir la viabilité à long terme des initiatives de relocalisation.
La relocalisation industrielle est une composante essentielle des politiques économiques en France et en Europe, car elle contribue à la souveraineté nationale, à la durabilité environnementale et à la qualité des produits. En renforçant les capacités de production locales, en améliorant la résilience des chaînes d’approvisionnement et en stimulant l’emploi dans les territoires, la relocalisation offre une réponse aux défis de la mondialisation. Pour qu’il puisse réussir, ce mouvement doit s’accompagner d’une collaboration étroite entre les entreprises, les gouvernements et les communautés locales, en vue de créer un environnement propice à un développement économique durable et inclusif.