« Je pense que la transformation doit être au service des nouveaux paradigmes que chaque dirigeant d’entreprise est aujourd’hui obligé de prendre en compte, notamment la transition énergétique, l’intégration de la question climatique : c’est une question de responsabilité et d’engagement pour la pérennité de son modèle. » RSE, Finance, Développement commercial, Marketing et digital… Avant d’opter pour le management de transition à seulement 37 ans, Pauline Leré a occupé plusieurs fonctions, avec un souhait grandissant : « avoir les mains libres et les moyens pour opérer une réelle transformation sur fonds d’amélioration continue de l’expérience client ». Et pour conduire et surtout réussir le changement, Pauline mise sur l’authenticité et la cohérence entre les idées et les actes, une qualité « qui permet d’accompagner les équipes et l’organisation vers un vrai pivot : concret et durable ».
Qu’est-ce qui vous a incité à opter pour le management de transition avant 40 ans ?
Je suis arrivée au management de transition après avoir travaillé dans plusieurs grands groupes, et constaté qu’il n’est pas toujours évident pour des dirigeants d’aller au bout des transformations. J’ai en effet noté un écart important entre le message porté aux équipes, les moyens alloués et la stratégie réellement mise en place. Ce hiatus a souvent été synonyme, à mon sens, d’inefficacité et surtout source de démotivation. Lorsqu’on est très orienté résultats, cette situation devient usante.
Le management de transition permet de poser les bases, à la fois dans la durée, les moyens et la posture, d’une transformation réussie.
Confrontée à des schémas répétitifs au sein des organisations pour lesquelles j’ai travaillé et bien décidée à aller plus loin dans l’accompagnement de la transformation, je me suis intéressée au management de transition. Ma première mission a duré 13 mois et m’a permis à la fois de penser, de concevoir et de mettre en œuvre un pivot stratégique dans un contexte tendu. Je suis arrivée à la conclusion que d’être externe et présente de manière temporaire était bien adapté à mon envie, et permettait d’aller efficacement jusqu’à l’exécution des plans de transformation grâce à une réelle liberté d’action.
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Le rôle du manager de transition dans la transformation d’entreprise
Être dirigeante, c’est se donner les moyens de la transformation ?
Pour que la transformation aboutisse, la « casquette » de direction est indispensable. Direction Générale, Direction Stratégie, Direction Innovation… Peu importe, au final, l’intitulé de la fonction : l’essentiel est surtout de disposer des moyens et leviers nécessaires (RH, finance, stratégie, IT, digital…) pour conduire le changement avec une feuille de route claire. Il faut aligner ce que l’on dit, ce que l’on fait, et déployer l’organisation ad-hoc qui va avec. Cela suppose de travailler sur la cohérence. Par exemple, si on modifie les canaux de distribution, la stratégie produit et qu’on ne va pas jusqu’à la modification des pay plans, difficile de transformer concrètement. Toute transformation réussie passe par une logique d’alignement.
Changer depuis l’interne, depuis soi-même, c’est difficile voire presque impossible. Il faut quelqu’un qui nous aide à aller jusqu’au bout. D’où l’intérêt du management de transition.
> Vous aussi, devenez manager de transition !
D’un point de vue stratégique, comment abordez-vous un projet de transformation ?
Au-delà des outils traditionnels de la stratégie et de la gestion d’entreprise, je m’appuie sur deux méthodes qui permettent d’affiner une stratégie et lever l’ensemble des freins à la transformation :
> La méthode de la singularité, qui vise à faire apparaître la singularité réelle d’une entreprise dans sa posture sur le marché. Qu’il s’agisse de son organisation interne ou de son rayonnement externe, cette méthode permet à une organisation d’assumer rapidement qui elle est et donc de valider plus vite les axes de transformation, d’opérer des pivots, d’oser des partis pris et des engagements forts qui font la différence.
> La méthode des constellations intégratives, un outil de résolution des problématiques systémiques qui permet de rendre visible très rapidement les blocages et les incohérences. Comme en développement personnel, il s’agit d’accompagner un système et une organisation dans ce qui est visible et ce qui l’est un peu moins. On peut ainsi œuvrer à de multiples niveaux de l’entreprise.
Comment faire face à la résistance au changement ?
Je trouve que le management de transition permet d’apporter une dose de réconfort ou de sécurité dans cette résistance au changement. Au départ, en tant que manager de transition, on opère un peu « à la place de », puisqu’on endosse une forte responsabilité opérationnelle. Cela permet aux équipes de constater que les changements sont possibles et moins douloureux que prévu. Avec le management de transition, on peut donner l’exemple puis se retirer et s’assurer que ce qui est mis en place fonctionne.
En tant que dirigeante de transition, mon but est de faire en sorte que les objectifs de la mission – plutôt vertueux mais non négociables puisqu’ils émanent d’un donneur d’ordre – puissent être atteints collectivement le plus aisément possible.
Vous intervenez souvent après une crise. C’est un moment propice à la transformation ?
Après une crise ou pendant une crise, il y a une phase de restructuration financière, sociale, managériale et ensuite, il faut rebondir. C’est une période de prédilection pour moi ! C’est un moment où je trouve dans les organisations toute l’ingéniosité, la créativité et la dynamique nécessaire pour accompagner et réaliser la transformation. J’aime également intervenir lorsqu’une entreprise dispose d’un marché historique sur le point de s’écrouler : comment transférer la compétence collective de l’entreprise vers de nouveaux marchés en créant des produits ou des services ? C’est un moment où il faut être agile et rapide pour avoir des résultats à court terme tout en enclenchant une mutation de long terme et c’est un défi que j’aime relever.
Constatez-vous une évolution de la place des femmes dirigeantes ?
Voir une femme au Comex suscite sans doute moins la surprise qu’auparavant même si c’est encore loin d’être « courant ». En tant que dirigeante de transition, je trouve que la question du genre se pose beaucoup moins car on arrive souvent dans un contexte de tension. L’objectif est clairement d’éviter toute perte de temps et de faire en sorte que les choses fonctionnent. La crédibilité vient assez vite par le travail que l’on fait et la posture adoptée. En ce qui me concerne, je ne « masculinise » pas du tout ma manière d’être.
Il y a un vrai plafond de verre à éclater. La balle est dans le camp des organisations en place qui sont encore trop peu paritaires et qui favorisent souvent l’entre soi. Mais elle est aussi de la responsabilité de chacune d’entre nous, femme et cadre dirigeante, d’apprendre à se sentir plus légitime et avoir plus confiance dans nos compétences et nos capacités.
Finalement, ce n’est jamais l’organisation qui donne la légitimité ou la reconnaissance : c’est un chemin de croissance personnelle, d’expérience et d’apprentissage de la confiance en soi. Pour être efficace dans ce métier, il est important de se sentir légitime soi-même, sans attendre d’être adoubée.