Pour Jérôme Vercaemer, la réforme des retraites va transformer le regard porté sur les cadres de plus de 55 ans. Il livre son point de vue pour Les Echos.
La réforme des retraites crée une onde de choc dans les entreprises. Cette réforme va profondément changer le regard des employeurs sur l’usage qu’ils peuvent faire des cadres « quinquas », redécouvrant toute leur richesse et leur utilité.
Jusqu’à maintenant, les DRH ont franchement du mal à les embaucher. Il y a toujours la crainte de les voir s’en aller à partir de 59 ans, lorsque des dispositifs de préretraite assez généreux leur sont proposés. En outre, et jusqu’à la réforme du travail qui entre en vigueur en février 2023, la durée d’indemnisation-chômage maximale des plus de 55 ans est de 36 mois. Ces protections ont leur logique. Mais à l’usage, elles finissent par se retourner contre les intéressés eux-mêmes. Les entreprises préfèrent miser sur des talents plus jeunes qui resteront plus longtemps. Question d’efficacité !
Un lourd retard français
Ces tendances lourdes se retrouvent dans les chiffres. Même s’il a augmenté ces dernières années, le taux d’emploi des 55-65 ans n’est que de 56 % en France, selon les derniers chiffres de la Dares. Les comparaisons européennes sont intéressantes : la moyenne se situe autour de 59 % mais le taux grimpe à 72 % en Allemagne, 77 % en Suède et même 83 % en Islande. Cette moyenne française de 56 % cache, en plus, une vraie fracture. Elle fond spectaculairement après 60 ans, puisqu’elle passe à 75 % pour les 55-59 ans contre 35 % pour les 60-64 ans. Et logiquement, plus les seniors avancent en âge, plus ils sont nombreux à être inscrits au chômage (l’entrée en catégorie « senior » se situe autour de 50 ans).
C’est bien cette fracture qui devrait se réduire peu à peu avec la réforme des retraites. Avec des carrières forcément plus longues, les jeunes seniors seront moins poussés vers la sortie ou (re) trouveront même plus facilement du travail. On va ainsi redécouvrir la valeur inestimable de l’expérience dans nos entreprises et imaginer qu’à l’avenir les quinquas seront mieux traités. Des milliers de cadres supérieurs vont se mettre à la disposition des entreprises pour aller jusqu’à 63-64-65 ans ou plus, puisque la réforme annoncée sera progressive. Le marché de l’emploi des cadres dirigeants va s’en trouver bouleversé. Les plus jeunes seniors se retrouveront face à de nouvelles opportunités et partageront ainsi des dizaines d’années précieuses en termes de résilience, de savoir-faire, de management.
Les formules à leur disposition sont nombreuses. Il y a le maintien dans l’entreprise : le CDI reste la norme dans 9 cas sur 10. Puis il y a d’autres modalités qui se développent : reprendre les rênes d’une entreprise, passer autoentrepreneur, se reconvertir dans le conseil, le coaching, ou encore devenir manager de transition. On souligne quand même que le temps partiel augmente au fur et à mesure que le temps passe. Le souci de ménager sa santé est une préoccupation très prégnante à partir de 60 ans. Des pays comme la Finlande ou la Suède ont mis en place des politiques particulières pour tenir compte de la pénibilité du travail par exemple. Au Danemark, les seniors en fin de droits sont prioritaires pour certains postes dans l’administration.
L’exemple des pays du Nord
Les pays du Nord sont, de ce point de vue, inspirants. On note par exemple un effort particulier fait en matière de formation des seniors, complément indispensable à leur expérience. Travailler après 60 ans ne signifie pas « couper le moteur », vivre sur ses acquis, mais plutôt rester dans la course.
Or les seniors français se forment deux à trois fois moins que leurs homologues du Nord de l’Europe… La réforme de l’assurance-chômage qui réduit la durée d’indemnisation pourrait être un levier utile pour rattraper ce retard.
Pas de « grande démission » chez les seniors
Alors que, chez les plus jeunes, le phénomène de la « grande démission », venu des Etats-Unis se développe depuis l’épidémie de Covid, on voit poindre un nouveau marché chez les cadres supérieurs seniors : celui de l’expérience, de la capacité à diriger dans une conjoncture incertaine, lorsque le business devient volatil et que les difficultés s’accumulent. C’est le cas aujourd’hui.