Organisé par Valtus, le webinaire du 22 novembre 2022 s’inscrit résolument dans l’actualité : “Avancer dans l’incertitude en prenant soin de soi : mythe ou réalité ?”. Accessible en replay, il est animé par Isabelle Obrecht, directrice associée Valtus, en compagnie de son invité, Hugues Fourault, coach certifié à la Société Générale et président d’Agir sans Peur.
L’invité de Valtus : Hugues Fourault, président d’Agir sans Peur
Observateur et acteur du monde des grandes entreprises depuis plus de 25 ans, Hugues Fourault a occupé des fonctions IT, RH et de transformation organisationnelle, au même titre qu’un rôle d’expert, de manager et de dirigeant. Aujourd’hui, en qualité de coach certifié, il accompagne des dirigeants, des équipes et des entreprises dans leur développement.
Hugues Fourault est président d’Agir sans Peur, une organisation qui réunit une équipe de praticiens certifiés et experts du monde de l’entreprise pour apprendre aux salariés à mobiliser leur capacité de régulation émotionnelle dans des situations professionnelles.
Les questions auxquelles Hugues Fourault s’est proposé de répondre, au cours du webinaire organisé par Valtus, ont été les suivantes :
- Quelles sont les conséquences, d’un contexte d’incertitude, sur notre fonctionnement, tant individuel que collectif ?
- N’est-ce pas un mythe de croire qu’il existe des solutions à la portée de tous ?
- Comment favoriser l’épanouissement dans un monde chahuté ?
Ces questionnements conduisent Hugues Fourault à démontrer qu’il est possible de prendre soin de soi dans un contexte incertain. C’est par un extrait de “L’Art Martial du Leadership” d’Arnold Mindell (thérapeute, enseignant et fondateur de la psychologie orientée processus – ProcessWork) qu’il ouvre son intervention :
« La situation mondiale émergente : … une planète dont les habitants savent mieux comment envoyer une fusée dans l’espace que comment s’entendre tous ensemble ! »
Devant la technicité incroyable dont nous disposons aujourd’hui, notre compréhension des relations humaines pose question. Hugues Fourault souligne, en effet, que nous avons très peu investi dans le champ relationnel. Aujourd’hui, il constitue cependant une ressource très importante selon lui pour apporter de la sécurité et créer des collectifs performants.
Les quatre dimensions de l’incertitude
Le contexte d’incertitude tourne autour de quatre dimensions importantes :
- La mondialisation
- Le court-termisme
- La financiarisation
- La digitalisation
Ces quatre dimensions, vécues par chacun au quotidien, étaient jusque-là connues sous l’acronyme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity et Ambiguity). Ce dernier fait désormais place à un nouvel acronyme : BANI (Brittle (fragilité), Anxieux, Non linéaire et Incompréhensible).
Le monde BANI décrit un monde devenu chaotique. Il génère de l’incertitude, donc du déséquilibre. Au niveau individuel, ces quatre dimensions entraînent des effets sur le stress. Isabelle Obrecht rappelle qu’aujourd’hui, 44 % des salariés sont en situation de détresse psychologique, le plus fort taux étant observé au niveau des managers (50 %) et des jeunes.
Pour illustrer le déséquilibre dont il est question, le président d’Agir sans Peur s’appuie sur les dires de deux auteurs :
« L’incertitude est, de tous les tourments, le plus difficile à supporter », Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle
« Des modèles théoriques modélisent l’anxiété comme une sorte d’allergie, d’intolérance à l’incertitude. En réaction à cette incertitude, la pensée anxieuse va amplifier des problèmes qui pourraient arriver. », Christophe André, psychiatre.
Nous réagissons tous au monde d’une façon particulière et ne choisissons pas d’avoir peur, d’être anxieux ou stressés. Cette réaction échappe à notre volonté. La première approche d’Hugues Fourault, en qualité de coach certifié, est de dédramatiser et de déculpabiliser les individus qu’il accompagne. « Si nous réagissons de telle ou telle manière, c’est parce que nous cherchons à nous adapter à un environnement qui change ».
Une question d’éducation
Pour Hugues Fourault, les femmes et les hommes n’ont pas été formés pour évoluer dans ce type de contexte. À l’école, nous apprenons des notions linéaires (une cause produit un effet). Or, le monde qui nous entoure est complexe. Nous n’avons pas appris à gérer des paradoxes et des dilemmes omniprésents. Devant plusieurs choix possibles, nous avons donc, naturellement, du mal à prendre des décisions.
Il faut comprendre que le contexte d’incertitude dans lequel nous vivons a évolué de façon subtile. Nous avançons dans un monde qui évolue de manière continue sans souvent que nous nous en rendions compte. Notre tendance est alors de continuer à faire la même chose. Et souvent, les changements de nos environnements vont venir en tension avec nos propres mouvements et habitudes.
Lorsqu’un contexte évolue, cela nécessiterait pourtant de faire les choses différemment. Pour exemple, l’observation des modes de management montre que ces derniers ont peu évolué pendant que le monde a fortement changé. Les entreprises sont encore nombreuses à connaître des modèles pyramidaux, qui s’appuient sur le contrôle. En procédant ainsi, nous continuons à faire comme nous l’avons toujours fait, sans trouver les solutions les plus adéquates, pour avancer. Nous répondons à des besoins anciens tandis que nous avons de nouveaux besoins !
Mobiliser les ressources de chacun dans un monde chaotique
Questionné par un participant du webinaire quant à l’adaptation des outils législatifs, des formations et de la délégation de pouvoir aux managers d’aujourd’hui, Hugues Fourault répond ceci : dans un monde chaotique, il faut mobiliser les ressources de chacun. Il est illusoire de penser que nous pouvons tout maîtriser, tout comprendre à partir du haut de l’organisation ou d’un département. Il est important pour le manager de pouvoir s’appuyer sur les compétences et les capacités de chacun des collaborateurs.
La question que les managers doivent se poser est la suivante : comment redonner, à chacun, une responsabilité ? De là, émane la notion de subsidiarité, qui passe par la volonté, en tant que leader, de donner autonomie et moyens à ses collaborateurs. La subsidiarité, c’est être convaincu que mes collaborateurs sont plus à même que moi de décider, en raison du fait qu’ils sont au contact du terrain. C’est le pari de l’intelligence et de la confiance.
Le véritable défi, pour les entreprises actuelles, est de développer la responsabilité et la responsabilisation. C’est ce que l’on appelle le “management participatif et organisé”. Il s’agit de guider, de créer un cadre pour que cela puisse advenir. Le rôle des managers est de mettre en place le cadre dans lequel les collaborateurs peuvent mettre en œuvre leurs capacités. Il s’agit de définir l’objectif à atteindre, ainsi que des principes communs pour que, dans ce cadre défini en amont, les collaborateurs aient les moyens, l’autonomie et la responsabilité dont ils ont besoin pour avancer et bien faire leur travail.
Le pentagramme de Ginger : une approche holistique et intégrée
S’appuyant sur le pentagramme de Ginger, Hugues Fourault présente une approche holistique et intégrée de l’homme et des organisations pour comprendre et trouver des ressources. Cette approche a été développée par Serge Ginger, psychologue et psychothérapeute spécialisé en Gestalt-thérapie.
Dans le monde occidental, notre éducation a essentiellement développé la partie rationnelle et logique de notre cerveau. D’autres dimensions, dont le corps, le sens et les émotions, ont été délaissées. De ce fait, nous sommes souvent dépassés par les émotions, qui nous font adopter des stratégies peu efficaces et dépenser beaucoup d’énergie. Or, lorsque nous sommes pris par les émotions ou par le stress, le corps cherche à s’adapter pour se protéger contre une situation perçue comme dangereuse. C’est précisément à ce moment que nous avons plus de mal à réfléchir et à décider.
La fragilisation (peur) dont nous sommes victimes est exacerbée par l’actualité. Les messages que nous recevons, de la société qui nous entoure et des médias, nous font peur, donc nous rendent plus fragiles. Or, nous aspirons, au plus profond d’entre nous, d’être en lien avec les autres pour évoluer dans un monde qui génère de la sécurité.
Le modèle de Ginger présente cinq dimensions interreliées :
- La dimension physique, matérielle
- La dimension affective, relationnelle
- La dimension rationnelle, intellectuelle
- La dimension sociale, culturelle
- La dimension spirituelle, le sens
Ces cinq dimensions sont intéressantes à observer sous l’angle de nos sociétés. En France et en Europe, nous avons développé la dimension rationnelle et la dimension sociale. En Inde et en Chine, en revanche, l’accent est mis sur d’autres dimensions, comme la dimension physique et spirituelle.
Le pentagramme de Ginger montre que les cinq dimensions sont interreliées et forment autant de pôles ressources qui permettent aussi d’illustrer des fragilités dans le fonctionnement des organisations :
- Le pôle rationnel, intellectuel
- Process, outils
- Produits, services
- Etc.
- Le pôle affectif, relationnel
- Reconnaissance des collaborateurs
- Management
- Motivation
- Etc.
- Le pôle social, culturel
- Organigramme
- Hiérarchie
- Rôles et responsabilité
- Etc.
- Le pôle physique, matériel
- Moyens
- Formation
- Budget
- Etc.
- Le pôle spirituel, le sens
- Raison d’être
- Vision
- Valeurs
- Etc.
Le pentagramme de Ginger, appliqué ainsi aux organisations, montre que, si l’on a développé le côté organisationnel, il est important de prendre en compte le besoin de reconnaissance et de sens. Ce modèle permet de comprendre que tous ces éléments font partie de chacun d’entre nous. Le déséquilibre, quant à lui, apparaît si l’on s’appuie sur l’une ou l’autre des dimensions uniquement.
Dans la mesure où toutes les dimensions sont reliées les unes aux autres et qu’elles sont interdépendantes, le défi d’une organisation est de créer un lien entre chacune d’entre elles. Par exemple, il s’agirait de relier la raison d’être de l’entreprise avec les moyens mis à disposition, les process, les outils ou la culture managériale…
Lorsque apparaît un déséquilibre, la tendance est à surinvestir l’une ou l’autre de ces dimensions. Les entreprises ont alors du mal à relier et à équilibrer les différentes dimensions. Si l’entreprise n’investit pas certaines dimensions, cela aura des conséquences qui ne permettent pas aux collaborateurs de bien faire leur travail. L’enjeu, pour l’organisation, est de créer une cohérence avec sa raison d’être, d’incarner les “jolis mots” dans la réalité. Si l’on parle de raison d’être, de valeurs, de missions, ces termes doivent se traduire par des actions concrètes pour les collaborateurs au quotidien. C’est en reliant les dimensions les unes aux autres que l’on atteint la performance.
Vers un mouvement d’intériorité
De son expérience, Hugues Fourault indique que l’important, dans l’environnement chaotique qui nous entoure, est de prendre conscience que nous sommes principalement guidés par notre cerveau gauche rationnel. Nous cherchons à nous développer et à prendre appui à l’extérieur de nous plutôt que de le faire dans un mouvement vers notre intériorité.
Son invitation à faire différemment pour mieux vivre dans un monde incertain s’articule autour de trois idées essentielles :
Développer sa pensée, enrichir ses représentations du monde pour trouver de nouvelles voies
Pour Martha Nussbaum, auteure de l’ouvrage ‘Les émotions démocratiques, comment former le citoyen du XXIe siècle ?’ notre éducation a évolué sans que nous nous en rendions compte, à tel point que nous sommes devenus des techniciens au service de l’économie. La façon dont nous sommes éduqués, dans le monde complexe dans lequel nous vivons, ne nous donne plus les moyens d’y faire face. Nous ne trouvons pas de nouvelles perspectives. Il faut donc continuer à apprendre, à s’éduquer, pour avoir des perspectives différentes, et ainsi de nouveaux moyens de faire face à ces situations.
Il s’agit également de donner du sens aux mots. Les termes utilisés par les entreprises (“responsabilité”, “confiance”, “engagement”, etc.) doivent trouver du sens. Il est nécessaire d’engager les collaborateurs, de les inviter à réfléchir à ce que ces mots veulent dire aussi pour eux. Il faut retrouver une capacité à penser les choses, à se questionner, pour éviter de rester en superficialité.
« Les défenseurs de l’éducation tournée vers “la croissance économique” ont une conception appauvrie des moyens qui permettent d’atteindre leur but ».
La complexité des organisations requiert de nouvelles façons de penser et d’agir
Dans son ouvrage ‘Changeons de voie, les leçons du coronavirus’, Edgar Morin rejoint la pensée systémique qui soutient que la complexité du monde et des organisations requiert de nouvelles façons de penser et d’agir.
« Les esprits obéissent inconsciemment à un principe de connaissance qui réduit le complexe au simple, le tout à ses composants et disjoint ce qui est inséparable au relié par interactions. »
Nous vivons dans un monde de paradoxes et de dilemmes. Nous subissons des tensions. S’arrêter sur un dilemme et y réfléchir, regarder le contexte, le système, évaluer les valeurs en jeu, c’est déjà régler le dilemme à moitié. Il s’agit donc de ralentir, de raisonner pour mieux avancer.
Le besoin de sens est consubstantiel de l’être humain
Boris Cyrulnik développe ce concept dans une interview ‘Après une désorganisation sociale, un nouvel ordre se mettra en place’ datée de novembre 2020.
« Nous sommes programmés pour vivre, mais pas programmés pour donner sens à la vie, c’est-à-dire que nous sommes programmés pour vivre biologiquement. C’est nécessaire, mais c’est loin d’être suffisant. Pour donner sens à la vie, il faut que nous ayons un projet et des rêves à réaliser. À ce moment-là, nous pouvons attribuer un sens à la vie qui métamorphose la manière dont nous éprouvons la vie. Les jeunes et les gens qui ne donnent pas de sens à la vie ont une vie sans sens. Ils vivent dans l’instant, ils n’ont que la vie biologique. Alors que les gens qui donnent sens à la vie, ils se débattent, ils ont des espoirs, des désespoirs, mais voilà, la vie a pris sens ».
Une invitation à prendre soin de nous-mêmes
Hugues Fourault nous invite à développer notre intériorité pour mieux nous ouvrir dans notre relation au monde. Pour cela, il est nécessaire de prendre appui sur nos cinq dimensions pour plus de verticalité et de cohérence.
- Enrichir son éducation pour une pensée plus libre, plus riche, plus inclusive et plus créative
- Prendre conscience de ses émotions et les réguler pour des réactions ajustées et apaisées
- Prendre soin de son corps et être à son écoute
- Découvrir ses orientations de sens et mener des projets pour une vie sensée
- Se relier à des communautés de sens
Des champs à investir pour les leaders
Parmi les champs que les leaders méritent d’investir pour développer des organisations vivantes, Hugues Fourault propose plusieurs voies.
- Réinvestir le relationnel, la qualité du lien à l’autre. Ceci nécessite du temps et de l’espace pour cela.
- Bâtir des fondations solides (raison d’être, vision, valeurs), donner régulièrement du sens (signification, direction, sensibilité) pour guider les énergies et les actions
- Développer des environnements capacitants, qui passe par l’autonomie et la responsabilité de tous (au sens “empowerment & accountability”)
- Prendre des « temps d’arrêt au stand » pour préparer et clarifier ses idées et ses actions et faire des rétrospectives pour apprendre et s’ajuster
Apprendre à se connaître dans ses différentes dimensions : qui je pense être, qui j’ai peur d’être et qui je suis réellement.
Un exercice pratique, simple, rapide et efficace
À la fin du webinaire, Hugues Fourault invite les participants à réaliser, chez eux, un exercice qui consiste à stimuler le nerf vagal, en vue de renforcer l’engagement social et de se sentir en sécurité.
Cet exercice pratique, accessible sur le webinaire en replay, est basé sur le travail de Stanley Rosenberg : “Stimuler le nerf vague”. Facile à reproduire chez soi, plusieurs fois par jour, il apporte une réponse rapide à une situation stressante. Il permet d’améliorer la mobilité du cou et de diminuer les tensions. Cet exercice démontre également qu’en agissant sur la physiologie (comme cela est le cas avec d’autres techniques comme la régulation émotionnelle ou la cohérence cardiaque), il est possible de se reconnecter et de trouver une forme de plénitude à l’intérieur de soi.
L’incertitude, une invitation à changer !
Pour terminer, Hugues Fourault mentionne deux auteurs.
D’abord, Viktor Frankl, neurologue et psychiatre, créateur de la logothérapie (la thérapie par le sens) : « L’impossibilité de changer une situation nous met au défi de nous changer nous-mêmes ».
Et Chögyam Trungpa, maître bouddhiste tibétain : « Nous ne pouvons pas changer le monde tel qu’il est, mais en nous ouvrant au monde tel qu’il est, nous pouvons découvrir que la gentillesse, la décence et la bravoure sont disponibles non seulement pour nous, mais pour tous les êtres humains. »