Pour Brigitte Albrand, dirigeante de transition depuis 6 ans, la différence entre la mission et le CDI repose surtout sur la perception des salariés. En l’absence d’enjeu personnel dans l’entreprise, son point de vue extérieur est très apprécié. Après avoir construit sa carrière en tant que DAF au sein de plusieurs organisations, Brigitte Albrand effectue des missions de management de transition plutôt longues avec une satisfaction récurrente : celle de pouvoir se dire « je sais à chaque fois où j’ai pris le sujet et où je l’ai laissé ».
À l’heure où la gestion de l’inflation devient un défi majeur pour bon nombre d’entreprises. En tant que DAF, comment tentez-vous de limiter son impact ?
Je suis actuellement en mission au sein d’un cabinet de conseil. Ainsi, je suis amenée à m’interroger sur les taux horaires appliqués pour valoriser et vendre les missions. Le point le plus impactant, qui a eu une incidence sur la deuxième moitié de l’année fiscale 2022 (clôture fiscale au 30 juin 2022) et va rester très présent en 2023, est celui de la hausse des rémunérations, à savoir le package complet, c’est à dire à la fois la rémunération fixe et les variables qui sont attribués en fin d’année en fonction de la performance de l’individu et de la firme.
Ce package global, dont la rémunération fixe est évidemment un élément structurant, a augmenté fortement en 2022. Ces rémunérations fixes vont encore progresser significativement sur l’année fiscale 2023. Je ne suis donc pas confrontée à l’inflation du coût des matières mais plutôt à l’inflation du prix de revient de la main d’œuvre.
L’impact de l’inflation est visible sur d’autres éléments, et notamment les loyers et charges. L’augmentation du coût de l’énergie va être répercutée par les bailleurs. Comme toutes les entreprises, il va falloir entamer des négociations avec le bailleur pour monitorer la consommation d’énergie.
Enfin, la hausse des prix concerne également la restauration d’entreprise. Compte tenu de la flambée du coût des matières premières et de tout ce qui rentre dans la composition des repas, le prestataire indique qu’il envisager d’augmenter ses tarifs.
Quels sont les apports les plus notables de la digitalisation de la fonction finance sur votre quotidien et celui de vos équipes ?
La digitalisation fait clairement partie de la feuille de route ! La loi relative à la facturation électronique, qui entre en vigueur en juillet 2024, va impacter la finance, à la fois du point de vue de l’émission de factures vers le client que de la réception des factures des fournisseurs. Cette obligation étant nationale, toutes les entreprises doivent être en passe de monter dans le train de la digitalisation pour s’y conformer. Actuellement, nous constituons les équipes qui vont gérer ce projet en interne.
Je dirais que le challenge de la digitalisation, c’est d’une part de l’imaginer, de la déployer et de la rendre vivante ; mais c’est aussi, d’autre part, de créer le besoin et de d’en faire la promotion auprès des clients internes, ce qui n’est pas forcément aussi simple et évident qu’il n’y paraît.
La digitalisation permet également de s’assurer que toutes les analyses, supports et KPI soient disponibles sur étagère pour le client interne. En déployant Power BI ou d’autres outils, on parvient à mettre des données très vivantes à disposition, en automatique. Si la mise à jour quotidienne des données n’est pas forcément pertinente dans les métiers du conseil, où il n’est pas question d’expédier des produits via une chaîne de préparation, ces outils permettent aux clients internes d’accéder, en grande autonomie à un certain nombre d’informations. Je dirais que le challenge de la digitalisation, c’est d’une part de l’imaginer, de la déployer et de la rendre vivante ; mais c’est aussi, d’autre part, de créer le besoin et de d’en faire la promotion auprès des clients internes, ce qui n’est pas forcément aussi simple et évident qu’il n’y paraît. Il y a tout un travail de pédagogie à mettre en œuvre.
La notion de finance durable gagne du terrain. Comment intégrez-vous cet enjeu de plus en plus stratégique dans votre métier de DAF ?
Dans l’entreprise dans laquelle j’interviens en ce moment, il y a une responsable RSE. Au total, une équipe de trois personnes s’occupent de la RSE et notamment du volet durabilité. À la Direction des Opérations, nous avons un très gros focus sur la gestion des fluides afin d’observer une certaine sobriété, mais avec un impact financier finalement assez modeste. Par ailleurs, au travers des notes de frais, nous pouvons assurer un suivi de la consommation de certains postes. En revanche, il ne s’agit pas de pratiquer une finance durable dans le sens où nous ferions des investissements dans des sociétés dont on voudrait qu’elles promeuvent des produits avec une notion de durabilité.
La finance doit surtout aider la direction RSE à capter les informations financières de manière rigoureuse pour éclairer le débat est reporter nos progrès.
On est dans une finance très traditionnelle. L’idée est plutôt de soutenir la stratégie de durabilité de l’entreprise que de pratiquer une finance d’investissement. Il existe des objectifs de réduction carbone par exemple, mais collectivement, en tant qu’entreprise. La finance doit surtout aider la Direction RSE à capter les informations financières de manière rigoureuse pour éclairer le débat et communiquer sur nos progrès.
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Quels sont vos conseils pour réussir la structuration d’une direction financière ?
J’ai déjà été amenée à constituer from scratch une direction financière au sein d’une start up ou bien à réorganiser, restructurer une direction en fonction de différentes situations. Ma vision, c’est que la finance est au service du business. Il faut donc commencer par bien comprendre le business et son organisation afin que la structure de l’équipe financière soit en cohérence et en résonnance. Certains principes sont classiques mais il existe à la marge des organisation plus spécifiques à certains secteurs. Globalement, il est essentiel de toujours structurer la direction financière autour des enjeux du business.
À chaque niveau, les gens doivent comprendre ce c’est que le business et comment il peut impacter leur job le cas échéant.
Les entreprises, quel que soit leur secteur, doivent être très attentives à leur trésorerie. Il faut qu’il y ait une prise de conscience générale de l’entreprise et de son top management sur l’importance de la gestion et du monitoring de la trésorerie. Je conseille de toujours rattacher la trésorerie au directeur financier.
Il faut également veiller à ce qu’il y ait une acculturation de la fonction financière. À chaque niveau, les gens doivent comprendre le business et comment il peut impacter leur pratique, le cas échéant. Par exemple, on doit veiller, dans le respect des règles, à adapter les procédures à la culture de l’entreprise. Certaines notions doivent être partagées et assimilées pour dimensionner l’effort et éviter les crispations.
Prendre les rênes d’une équipe dans le cadre d’une mission de transition ou manager en faisant partie des effectifs de l’entreprise, ce n’est pas la même chose. À la lumière de vos expériences, quelles sont principales différences ?
En tant que manager de transition, je n’ai pas d’enjeu dans l’entreprise. Je ne joue pas de carte personnelle, je ne cherche pas à accomplir quelque chose pour moi. Ainsi, lorsque j’expose mes points de vue à ma responsable de mission, elle sait qu’ils sont dégagés de tout jeu personnel. Ma volonté est d’apporter un éclairage externe et cela est très valorisé.
Pour moi, le fait d’intervenir en tant que DAF de transition ne change rien. C’est la perception et le regard des autres qui change. À chaque fois que je démarre une mission de transition, je fais les choses comme si j’étais en poste. C’est à dire que je vais avoir une lecture et proposer des solutions comme si je devais être là pour plusieurs années.
J’ai débuté ma mission actuelle par une mission de six mois, qui a ensuite été prolongée quatre mois, puis encore douze mois. Pour des missions de quelques mois, les gens ne vous intègrent pas dans la durée et il y a des éléments qu’on ne partage pas avec vous. Si j’avais su d’entrée de jeu que la mission serait aussi longue, cela aurait changé la perception des membres de l’organisation. La durée pour laquelle on s’inscrit dans une mission est un élément assez important. Ce qui est intéressant dans ma mission actuelle, c’est qu’il y a à la fois de la transformation et du projet. Et pour engager la transformation, je suis en prise directe avec les équipes.
Dans certains cas, on arrive pour faire une « opération coup de poing ». On a alors, en général, une grande marge de manœuvre et on est moins exposé aux émotions que si on était là depuis quelques années. Il faut prendre des décisions difficiles et les mettre en œuvre. Pour ces missions de transformation un peu douloureuses et/ou compliquées, la démarche de l’entreprise est souvent de recourir à un manager de transition et ensuite recruter un manager, au profil différent, qui va gérer l’après.
Quelle est votre définition d’une mission de management de transition réussie ?
J’ai eu la chance d’intervenir sur des missions où la satisfaction a été exprimée clairement par le client ou par les prescripteurs. Cela signifie donc que celui qui a prescrit ou a acheté la mission est satisfait. Personnellement, j’ai le sentiment du devoir accompli, dans le sens où je sais à chaque fois où j’ai pris le sujet et où je l’ai laissé. J’ai fait des missions plutôt longues, avec un contenu évolutif. Elles ont à chaque fois été prolongées par rapport à leur durée initiale, ce qui est toujours satisfaisant.