« La supply chain, quand tout va bien, on en parle peu ». Et pourtant, au sein d’une entreprise, la fonction supply chain est devenue particulièrement stratégique. Arnaud Delahaye a effectué sa première mission en tant que Directeur Supply Chain de transition il y a cinq ans. Son expérience professionnelle de plus de 30 ans dans plusieurs secteurs industriels lui permet d’accompagner les entreprises, mais aussi de continuer à se développer à titre personnel. Dans un contexte de bouleversements, « la supply chain est un métier en forte évolution qui va continuer à se transformer et dans lequel on ne s’ennuie pas ».
Vous avez déjà effectué plusieurs missions de management de transition. Qu’est-ce qui vous a mené vers cette voie ?
J’ai découvert le management de transition il y a 15 ans. Dans le cadre d’une situation de crise lors de la mise en place d’un ERP, mon patron a fait appel à un manager de transition qui est venu accompagner notre équipe et mettre en place un plan d’action de gestion de crise, aussi appelé « recovery plan ». Cette expérience que j’ai beaucoup aimée est restée ancrée en moi, car à cette occasion, j’ai apprécié le management de transition en tant qu’opérationnel et client. Le manager a apporté une vision constructive, avec un support très fort et structuré.
Récemment, suite à une rupture professionnelle, j’avais pensé poursuivre dans l’opérationnel ou opter pour le conseil, et c’est à cette occasion que je me suis tourné assez naturellement vers le management de transition, recherchant les challenges, l’accompagnement du changement et des opportunités de développement.
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Selon vous, quelle doit être la place du manager de transition au sein de l’entreprise dans laquelle il effectue sa mission ? Doit-il miser sur la proximité ou au contraire conserver une certaine distance ?
La posture à prendre doit être adaptée et la proximité modulée en fonction du type de mission. C’est aussi la vocation du manager de transition : il doit s’adapter rapidement et être très flexible pour répondre aux urgences du client.
Il faut pouvoir montrer aux équipes que le manager de transition n’est pas là pour lui et qu’il est au service de l’entreprise.
Le manager de transition doit naturellement aller vers les équipes pour bien comprendre la problématique, l’historique, la maturité dans le métier et leur sentiment sur ce qui va et qui ne va pas. Appréhender tout cela permet de trouver la meilleure méthode d’accompagnement des équipes. Il faut pouvoir montrer que le manager de transition n’est pas là pour lui et qu’il est au service de l’entreprise.
Je gère des missions d’accompagnement pour développer le progrès dans les process et les organisations. Pour cela, il faut l’adhésion des équipes. Ce point est très important pour moi et cette adhésion fait partie des satisfactions que je trouve au travers de mes missions.
Quand la roue s’emballe, il est difficile de la freiner.
J’interviens souvent dans des situations où les équipes sont en difficultés et un de mes objectifs est de parvenir à les rassurer en « benchmarquant » l’organisation. Certains salariés finissent par douter de leurs compétences ou de leur efficacité et je m’efforce de leur montrer que leurs difficultés ne proviennent pas de la qualité de leur travail mais plutôt d’une organisation inadéquate. Quand la roue s’emballe, il est difficile de la freiner. Évidemment, même si le manager de transition est là pour guider et apporter des solutions, il ne doit pas tout décider seul.
Pourriez-vous nous donner votre définition d’une mission de transition réussie ?
C’est d’abord l’atteinte des objectifs de la mission. Ensuite, c’est lorsque vous voyez que les équipes ont adhéré à vos propositions avec une volonté de partage et qu’elles retrouvent une certaine sérénité. Cette adhésion et cette écoute positive doit aller jusqu’au Codir.
En tant que manager de transition on a une certaine humilité, on apporte notre valeur ajoutée aux clients par notre expérience pour les faire progresser, mais on continue aussi à apprendre !
Il m’est arrivé, lors d’une mission d’être confronté à un client qui n’était d’accord avec aucune de mes propositions. Dans ce cas, inutile de poursuivre la mission ! L’accompagnement d’un cabinet spécialisé peut d’ailleurs être un atout dans ce type de situation.
Dans quelle mesure les pénuries à répétition ainsi que l’inflation transforment-elles votre métier de Directeur Supply Chain ?
Garantir le service client pour atteindre les objectifs de l’entreprise, limiter les stocks et les coûts pour sécuriser la rentabilité de l’entreprise… Ces enjeux n’ont cessé de croître et se sont accélérés. La supply chain va bien au-delà de la gestion des « basiques » consistant à garantir un bon service client avec un minimum de stocks. Il s’agit désormais d’un métier de gestion de risques.
Il faut pouvoir de mieux en mieux anticiper et gérer les risques pour prendre les bonnes décisions, mettre en place les bons stocks de sécurité, des back-up de fournisseurs et de production. La période actuelle a vraiment accéléré cette nouvelle dimension de gestion des risques.
Dans la supply chain, tout est lié. Lorsque vous subissez des problèmes d’approvisionnement, tout se désorganise et vous vous retrouvez rapidement dans une spirale négative, travaillant en « mode pompier ».
Plus que jamais, il faut se demander comment améliorer sa visibilité vis-à-vis des marchés et se montrer toujours plus flexible, agile et robuste.
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Comment avez-vous vu évoluer les métiers de la supply chain au gré des innovations technologiques, telles que l’IA ou la blockchain ?
La supply chain gère beaucoup de données, des prévisions, des stocks, des flux d’informations… La gestion de la data avec l’aide de l’intelligence artificielle, va prendre de plus en plus d’ampleur pour permettre à la supply chain de mieux prévoir, mieux gérer les risques par rapport à des historiques. Cette technologie est un moyen de faire du prédictif de manière plus fiable.
La blockchain et l’intelligence artificielle doivent aider à aller encore plus loin dans la fiabilité des données.
On parle aussi de blockchain qui permet de sécuriser les données. En tant que fonction transverse, beaucoup de chiffres passent par la supply chain. Vous échangez des chiffres avec le commerce, le marketing, le Codir et régulièrement, vous êtes confronté à la nécessité de réconcilier les chiffres. Je suis toujours surpris de constater que la « réconciliation » des chiffres est une problématique récurrente.
Les outils de business intelligence qui permettent de retravailler les données des ERP apportent beaucoup d’aide mais ce n’est pas encore suffisant. La blockchain et l’intelligence artificielle doivent aider à aller encore plus loin dans la fiabilité des données.
Viennent ensuite les outils web, dans un modèle où il faut être toujours plus réactif et donner de l’information en temps réel. Avec le développement du e-commerce, vous devez connaître vos stocks en temps réel pour que le consommateur puisse commander sur du stock disponible et être informé au fur et à mesure de la livraison de sa commande.
À quels challenges majeurs le directeur supply chain sera-t-il à votre avis confronté en 2023 ?
Vu l’environnement mondial et les impacts des événements graves qui surviennent, la supply chain va rester très tendue et en risque sur le sourcing au niveau mondial.
Il faut se poser les bonnes questions concernant les risques, comment y répondre et quelles actions mettre en place pour s’en protéger et les limiter. L’enjeu est de collaborer encore plus, avec le commerce, le marketing, la direction générale, les clients, afin de mettre en place une stratégie d’entreprise pour pallier les nouveaux risques.
Par exemple, le multi-sourcing ! Ce n’est pas nouveau, mais désormais, c’est impératif, même si pas forcément suffisant.
Ne pas oublier aussi les enjeux liés au développement durable.
Demain, il faut être en capacité de réagir car le concurrent aura peut-être mis en place les actions de gestion de risques pour limiter les impacts et maintenir son service.
Dans le cadre de mes missions, je vois des entreprises avec des taux de service client de plus de 95 % dégradés autour de 60 %. Les événements récents ont eu des incidences telles que les entreprises se sont retrouvées plus ou moins « à égalité » dans la baisse du service client. Demain, il faut être en capacité de réagir car le concurrent aura peut-être mis en place les actions de gestion de risques pour limiter les impacts et maintenir son service. Pour garder sa position sur le marché : savoir anticiper les risques et réagir vite.
Lors d’une mission, j’ai eu l’occasion d’échanger avec un consultant spécialisé en gestion des risques. Les métiers autour de la gestion des risques vont se développer.