Avec 30 ans d’expérience dans le secteur de l’industrie agroalimentaire, Stéphane Dos Santos a occupé plusieurs fonctions de direction : directeur d’usine, DOP, directeur industriel… Depuis 2015, il a fait le choix du management de transition et intervient régulièrement dans l’industrie, notamment en tant que directeur des opérations : industrie, supply chain, achats, R&D, ingénierie. Dans un secteur fortement exposé à l’inflation, aux risques de pénuries, ainsi qu’à la crise de l’énergie, Stéphane Dos Santos nous partage sa vision de son métier aujourd’hui. Son défi quotidien ? Anticiper et accepter toutes les éventualités, parce que « demain, tout peut changer, complètement et radicalement ».
À quelles problématiques êtes-vous régulièrement confronté lors de vos missions en tant que Directeur des Opérations industrielles ?
J’attache une importance particulière, lorsque je suis en mission, d’évoquer les enjeux majeurs, de parler aussi des points forts de l’entreprise, sur lesquelles nous nous appuierons, et surtout de bien cadrer les attentes du client. Définir le cadre de ma mission, autrement dit répondre aux questions quoi, comment, quand et avec qui, est la priorité pour assurer la meilleure exécution possible. Ce n’est pas une problématique en tant que telle, mais soyons d’abord bien clair sur les attentes.
Il y a deux autres sujets, qui sont en fait des axes de progrès et qui apparaissent assez régulièrement : l’un tourne autour de la performance ou de l’efficience industrielle ; c’est la raison évoquée le plus souvent pour faire appel à moi. L’autre est le processus S&OP dans son ensemble, c’est-à-dire : anticiper les ventes et les achats pour assurer un taux de service correct au client, au bon prix de revient. Ce sont vraiment les deux sujets sur lesquels je suis le plus sollicité, avec une demande de mise en place de plus en plus rapide des processus et l’obtention tout aussi rapide de résultats quantifiables.
Entre la hausse du coût des matières premières et les difficultés d’approvisionnement, diriez-vous que votre métier est plus difficile aujourd’hui qu’il y a deux ans ?
En fait, c’est différent. Dans notre métier, je parle de l’agroalimentaire, mais on peut certainement étendre cela aux autres secteurs industriels, le modèle économique s’appuie principalement sur les cotations du pétrole, du gaz et du blé. Étant donné que nous n’avons aucune prise sur ces variations tarifaires, il faut faire avec, adapter les modèles, les process, les organisations aux nouvelles réalités. Comment imaginer il y a quelques mois les prix d’énergies, de céréales, du bois que nous connaissons aujourd’hui ?
Tout, dans nos métiers, tourne autour de la cotation du pétrole, du gaz, du blé.
La première étape, avant de parler de métier plus difficile, c’est déjà d’accepter cette situation de fait. Jusqu’à récemment, la relative stabilité des matières premières rendait ce métier plus confortable ; c’est désormais différent.
Bienvenue dans un monde nouveau ! Dans ce contexte, mon métier change. Cela m’a obligé à m’adapter en proposant chaque fois des fourchettes de résultats à atteindre plutôt que des cibles plus précises.
Il faut accepter cet aléa et mesurer ses conséquences, selon que l’on soit dans un scénario ou dans l’autre, sur l’organisation, la rentabilité et le business. La fameuse agilité dont j’entends parler depuis des années, qui existe plus ou moins selon les entreprises, est aujourd’hui strictement nécessaire. Pour pérenniser son activité, il faut donc non seulement bien produire, de façon compétitive mais être surtout agile. Intellectuellement, c’est plutôt appréciable. Il s’agit de gérer le risque, de décider vite sur la base de données moins fiables. Cela redonne tout son sens au rôle du dirigeant.
Comment vivez-vous ces évolutions, est-ce pour vous une source de stimulation que de relever ces nouveaux défis ?
C’est un état de fait. Aujourd’hui, il faut intégrer ces changements dans nos réflexions. Quand on arrive dans une entreprise où l’on va définir et manager des équipes vers un cap, une cible, des objectifs clairs, il faut intégrer cette diminution des certitudes. Il me semble nécessaire, lors de cette étape, de conserver une hauteur de vue pour donner les priorités sans entrer dans un niveau de détail potentiellement confusant. Parce que demain, tout peut changer, complètement et radicalement. Cela oblige à se remettre en cause et à faire marcher des parties plus créatives de notre cerveau, de manière plus régulière.
Comment abordez-vous la crise énergétique ? Quelles solutions pour faire face à la fois à l’explosion des tarifs et au risque de pénurie ?
Objectivement, à date, sur quelques missions que j’ai pu honorer, la problématique de pénurie, on l’aborde sans trop l’aborder. À court terme, ce sont vraiment les effets de bord sur les prix du gaz et de l’électricité dont on ne connaît pas la fin, qui sont les priorités. Une situation dont on ne connaît pas la fin et qui évolue tous les jours en fonction des annonces. En matière d’énergie, tout est complètement instable. Donc pour le moment, mes missions court terme consistent à voir comment nous pouvons améliorer l’efficience énergétique.
On revient sur les fondamentaux qu’on avait peut-être laissés un peu de côté puisque cette enveloppe énergétique n’était pas forcément la constituante majeure du prix de revient.
J’estime que cette situation est une opportunité parce cela amène à se reposer des questions économiques évidemment, mais aussi écologiques. Consommer moins de gaz, consommer moins d’électricité, moins d’eau et vraiment entrer dans les détails techniques et technologiques de chaque produit, pour finalement se dire : à quoi ça sert de chauffer autant ? À ça sert de quoi de refroidir autant ? Est ce qu’on ne pourrait pas récupérer des frigories et des calories ? On revient sur les fondamentaux qu’on avait peut-être laissés un peu de côté puisque l’enveloppe énergétique n’était alors pas la constituante majeure du prix de revient. Mais aujourd’hui, elle le devient. Je passe aussi sur le stress hydrique, qui est également un sujet. Parce que l’agroalimentaire est en général un gros consommateur d’eau et potentiellement un gros pollueur. Là aussi, l’eau était très accessible et finalement peu coûteuse en France. C’est en train de changer ! Parfois il n’y a plus d’eau alors comment fait-on dans un process agro-alimentaire où l’eau peut représenter une part, en volume, très significative ?
Quelques entreprises peuvent se demander comment faire si nous n’avons plus de gaz. Il faut l’anticiper et imaginer un plan B. Ce scénario, je ne sais pas s’il se produira ou non mais s’il se produisait, il faudra l’avoir anticipé. La priorité c’est de voir comment vont se passer les premières vagues d’explosion des coûts énergétiques ; il est parfois difficile de les retranscrire dans les prix de vente. On entend à la radio que certaines communes ne savent pas comment elles vont faire pour chauffer leurs mairies, leurs salles communales et leurs écoles. On en est là, donc il faut vivre avec.
Il y a des choix politiques sur lesquels nous n’avons pas beaucoup de prise à date, donc il faut assumer collectivement. J’essaie toujours d’être positif ! C’est aussi l’occasion, même si c’est un peu brutal pour le coup, de remettre en cause nos pratiques, de se reposer quelques questions plus existentielles.
Vous pouvez être amené à encadrer des équipes importantes, pluridisciplinaires et multisites. Quelles bonnes pratiques vous semblent essentielles pour relever ce défi ?
Tout dépend du type de mission, entre une mission de transition et une mission de restructuring, les attentes et les relations ne sont pas les mêmes.
J’estime que la valeur ajoutée d’un DOP multisites et multiservices tient finalement en deux mots : le cap et le lien. D’abord, il faut définir un cap clair pour tout le monde, dont la finalité doit être la même pour tous. Chacun a cependant sa partition à jouer pour arriver à bon port. Parfois, il faudra aider certains « retardataires » à avancer plus vite pour y parvenir tous ensemble. Ensuite, il faut créer du lien, car les échanges et la fédération de chacun autour d’un même projet est essentiel.
Il faut prendre le temps d’expliquer et de donner envie de travailler ensemble, entre services, avec les sièges et les fonctions centrales, entre usines.
Lorsque j’interviens dans des groupes, c’est une demande forte, tout dépend de la culture du groupe et de son histoire. Parfois, certains sont des sortes de fédérations de PME qui étaient plus autonomes et doivent désormais ses plier à des contraintes de groupes ou de holding.
Dans ce contexte, il est très intéressant de créer du lien et de donner envie. Avec une trentaine d’années d’expérience, je vous confirme que la contrainte ne fonctionne que rarement. Il faut prendre le temps d’expliquer…
Pour résumer, on donne le cap, on s’assure que tout le monde est bien orienté de la même manière et on prend en compte le fait que dans un groupe, il y a souvent des synergies entre usines : elles peuvent se dépanner, traiter les coproduits des unes ou des autres… Et puis on crée du lien. Je trouve que c’est là l’essentiel de la valeur ajoutée du Directeur des Opérations industrielles de transition.
Si vous deviez convaincre un DOP expérimenté d’opter pour une mission de management de transition, quels seraient vos arguments ?
La différence entre être un directeur des opérations, un directeur industriel, achat ou supply chain en poste ou en transition, repose surtout sur la notion de client. Elle est importante et je trouve que cela change complètement la relation, puisqu’on s’engage à délivrer un service et que le client paie pour ça. Autre point important : il y a une date de fin. Si j’avais un peu de publicité à faire, je dirais que cela permet de varier les plaisirs. Découvrir de nouvelles équipes, de nouveaux procédés, s’enrichir de manière régulière de nouvelles connaissances, c’est l’essence même du management de transition. Lorsqu’on est dix ans dans le même groupe, même si c’est très respectable, cela n’apporte pas la même chose. On n’évolue pas à la même vitesse, cela oblige aussi à se remettre en cause de façon beaucoup plus régulière.
> Vous aussi, devenez manager de transition avec Valtus
On a une voix qui porte plus.
J’ai observé que la condition de consultant ou manager de transition offre une liberté de parole. Nous avons souvent une voix qui porte plus, une oreille plus attentive de la part du dirigeant/client. Peut-être parce que l’on coûte plus cher ! C’est intéressant parce que cela permet d’alimenter les directeurs généraux, avec des idées qu’ils n’auraient peut-être pas écouté de la même manière si c’était venu de l’interne. Il y a un effet de curiosité qui fait qu’ils s’y intéressent peut-être davantage. Et puis il n’y a pas de plan de carrière nécessitant d’arrondir les angles. On est là pour une réalité, pour aller d’un point A à un point B dans un temps donné, avec des méthodes que l’on a définies. Je trouve que la relation est relativement saine et oblige à faire de son mieux au quotidien pour le client.
On est quand même un petit peu attendu au tournant !
Il y a quand-même des contreparties. Il faut accepter de ne jamais être à la maison et ne pas avoir de visibilité sur dix ans (humour). Les missions changent tout le temps ; il faut également admettre que les choses peuvent parfois fonctionner moins bien que ce qui pouvait être anticipé. Problème de « feeling » avec l’équipe dirigeante, de modus operandi, de rythme… Les causes sont nombreuses. On se dit alors que la situation réelle ne correspond pas du tout à ce que l’on avait imaginé. L’erreur serait d’arriver en terrain conquis. Cette vigilance est d’autant plus nécessaire lorsque l’on est amené à conduire des projets de transformation ou de restructuration. Dans certains cas, on est quand même un petit peu attendu au tournant !
Selon vous, quelles ont été les évolutions les plus notables du management de transition dans le secteur de l’industrie au cours des 5 dernières années ?
J’ai le sentiment que c’est beaucoup plus populaire. Plusieurs cabinets, dont Valtus, proposent de belles missions, et obtiennent souvent de beaux résultats. Cela se sait et se voit. Sans nul doute que cette image positive contribue à renforcer la notoriété et la crédibilité du management de transition. Il y a finalement davantage de respect pour la fonction. À un moment donné, on a pu être perçus comme des mercenaires : ils arrivent, ils restent trois ou six mois et partent, peu importe les dégâts sur ce qui a pu être construit en cinquante ans. Ce n’est pas du tout mon leitmotiv. Même si les objectifs ont été atteints à la fin de mon contrat, j’estime que ma mission n’est réussie que si, un an après, tout continue de s’améliorer. C’est vraiment de l’amélioration continue durable et je pense que l’image négative tend à s’effacer.
> En savoir plus sur le renouveau du management de transition
Une mission, c’est aussi une opportunité donnée à un manager de transition de faire effectivement assez vite des progrès, mais aussi de former des équipes, de les amener à réfléchir un peu différemment. Il y a la fois ce côté action et un volet formation, mentoring que je trouve très intéressant et valorisant.
Parmi les autres évolutions que je ressens et qui s’accentuent, je constate que les demandes tournent de plus en plus autour de la performance industrielle pure, avec un besoin de cashback très rapide parce que la situation est complexe.
En très peu de temps, on passe du PowerPoint à l’Excel, et au terrain !
C’est parfois délicat pour un chef d’entreprise de dire qu’il est ou qu’il va être en difficulté, d’en accepter l’idée. Lorsqu’il s’aperçoit qu’il a besoin d’aide, il est parfois un peu trop tard, surtout quand il n’y a que des vents contraires ; comme c’est à peu près le cas en ce moment. Dans une situation habituelle, les entreprises un peu fragiles pouvaient s’en sortir avec une aide ; c’est plus incertain actuellement. Il y a de plus en plus demandes de missions où on nous dit « je ne peux plus payer mes factures d’électricité, comment vais-je commencer l’année prochaine, je suis arrivé au bout de mes augmentations de tarifs, je n’y arrive plus ». Il faut donc agir vite. D’abord, il convient d’analyser les choses très rapidement pour vérifier qu’il existe quand-même une issue potentiellement favorable. L’évaluation du potentiel d’amélioration doit être rapidement réalisée. Ensuite, il faut se mettre en action immédiatement. En très peu de temps, on passe de PowerPoint à l’Excel, et au terrain !