GRANDE DÉMISSION : POURQUOI LES CADRES QUITTENT-ILS L’ENTREPRISE ?

14 Sep 2022

Avez-vous déjà entendu parler de la « grande démission » ? En 2021, 47 millions d’Américains ont quitté leur emploi. Le phénomène est en grande partie lié à la crise de la Covid-19 et à la généralisation du télétravail. Il a gagné du terrain au point de devenir un mouvement social et économique qui retentit à l’échelle planétaire.

Sur TikTok, dans les chansons de Beyoncé, à travers les médias et dans le cœur des Américains, comme dans celui des Européens, la Grande Démission fait parler d’elle. Elle se concrétise en données chiffrées qui évoluent rapidement et inquiète les employeurs. Comprendre ce phénomène, c’est se saisir des raisons qui expliquent pourquoi les cadres quittent l’entreprise. Focus sur un mouvement à la fois inédit et complexe.

Grande démission : l’origine du mouvement

La grande démission peut être définie comme un mouvement de masse apparu aux États-Unis en 2021. L’expression « Great resignation » ou encore « Big quit » a été attribuée à ce phénomène par Anthony Klotz, professeur associé de management à l’université A&M du Texas. Dans un article publié par Bloomberg Businessweek en mai 2021, il prédisait un exode massif d’employés et de cadres. En effet, ces derniers choisiraient de laisser derrière eux des emplois dont ils ne souhaitaient pas.

Et Klotz avait vu juste. Bien loin d’une simple hypothèse, la grande démission est devenue un mouvement économique étayé par les données du Bureau américain des statistiques du travail. Entre avril 2021 et avril 2022, ce sont ainsi 3,98 millions de départs qui ont été enregistrés chaque mois. On note un pic de 4,5 millions de départs en novembre 2021.

Aussi impressionnant que le nombre de départs volontaires, l’ampleur du phénomène. En effet, le Big Quit n’a épargné quasiment aucun secteur d’activité ni aucune région des États-Unis, même s’il existe des disparités.

Les principales raisons du Big Quit

Une étude du Pew Research Center, un think tank spécialisé dans les statistiques et informations sociales, indique que la pandémie de la Covid-19 a provoqué un bouleversement sans précédent du marché du travail aux États-Unis.

Les pertes d’emploi auxquelles les Américains ont dû faire face au cours des premiers mois de la crise sanitaire ont laissé place à une tension sur le marché du travail en 2021. De même, lorsque l’économie est sortie de la léthargie de la pandémie, la reprise s’est amorcée après plusieurs mois de ralentissement. Le besoin de main-d’œuvre a explosé. Très rapidement, la guerre des talents a pris le pas. Dès lors, les règles se sont assouplies et que les restrictions ont été levées, les entreprises ont repris leurs activités. Par conséquent, le nombre d’offres d’emploi a augmenté. En même temps, le taux de démissions est passé de 1,6% début 2020 à environ 3% à la fin 2021.

Pendant la crise sanitaire, les travailleurs dits « essentiels », employés dans les secteurs de l’agroalimentaire, de la santé et de la restauration, ont eux-mêmes jugé qu’ils étaient sous-payés et surmenés par leurs employeurs. Hissés au rang de « héros », peu d’entre eux ont été récompensés à leur juste valeur pour leur travail et leur courage. Ils ont l’impression de faire partie d’une machine, tout en se sentant peu valorisés par rapport à leur travail. Lorsque de nouveaux emplois se sont libérés à la fin de l’année 2020 et au début de l’année 2021, ces personnes ont quitté leur emploi, tout simplement.

Comprendre les motivations des démissionnaires

Les raisons invoquées par les démissionnaires ? Le Pew Research Center relève en priorité les bas salaires, le manque de possibilités d’avancement professionnel et le sentiment d’être méprisé au travail.

L’enquête révèle également que celles et ceux qui ont claqué la porte de leur employeur et tourné le dos à leur contrat de travail sont aujourd’hui mieux rémunérés et davantage valorisés. Ils trouvent une forme d’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle.

Outre-Atlantique, le constat qui fait suite à la Grande Démission est alarmant. Le pouvoir n’est désormais plus entre les mains des employeurs, mais bien entre celles des employés. Aujourd’hui, pour conserver leurs talents, les entreprises n’hésitent plus à mettre les petits plats dans les grands.

Les solutions imaginées par les entreprises pour préserver leur capital humain sont nombreuses :

  • « Stay interview » (l’entretien « pour rester ») visant à comprendre l’envie d’aller voir ailleurs,
  • Augmentation substantielle des avantages financiers,
  • Extension des avantages en nature,
  • Bonus en guise de remerciements…

Pour autant, selon une analyse de McKinsey, le véritable cœur du problème ne semble pas être traité, à savoir les causes qui expliquent les départs des employés et des cadres. L’étude du cabinet de conseil indique que seules les entreprises qui prennent le temps de comprendre les raisons qui motivent les départs de leurs salariés pourront faire pencher la balance en leur faveur. Ainsi, elles pourront entrevoir une situation plus apaisée au niveau des ressources humaines.

Dans le monde et en France, la Grande Démission gagne du terrain

Le phénomène de Grande Démission n’est pas cantonné aux États-Unis. Sur la base d’une étude menée par PwC (Global Workforce Hopes and Fears Survey), le Forum Économique Mondial fait état d’un mouvement à l’échelle planétaire, indiquant qu’en 2022, un salarié sur cinq prévoit de quitter son emploi. Sans surprise, le facteur principal évoqué par les répondants est le salaire (71%). Le rapport de PwC met en avant les inégalités de salaires entre les sexes, mais également des facteurs intangibles comme l’épanouissement professionnel et la possibilité d’être soi-même au travail.

En France, les statistiques indiquent une vague de démissions qui déferle sur le marché du travail. Au premier trimestre 2022, près de 470 000 personnes avaient quitté leur CDI, soit 20% de plus qu’à la fin de l’année 2019 (source : DARES). Et les départs ne sont pas limités au secteur privé, puisqu’une enquête Ipsos datant de janvier 2022 indique que 60% seulement des fonctionnaires envisagent de continuer le métier qu’ils exercent dans la fonction publique.

À quoi ressemble la grande démission à la française?

L’enquête du cabinet de conseil PwC conclut à un phénomène d’ampleur. Mais les effets sont différents d’un continent à l’autre et d’un pays à l’autre. L’Europe, et notamment la France, serait donc moins affectée que les États-Unis par l’envie de tout quitter. Les salariés français seraient 15% à vouloir démissionner, contre 25% des Luxembourgeois, 21% des Irlandais et 15% des Hollandais.

En France, la question du salaire (22%) vient après celle de l’équilibre de vie (23%) et du manque de reconnaissance (15%). De même, si l’on est loin du Big Quit américain, l’envie des salariés français inquiète les employeurs et la direction des ressources humaines. En effet, elle touche tous les secteurs et toutes les couches hiérarchiques. À l’heure où la pénurie de talents fait rage, que les entreprises peinent à recruter. Avec un million d’emplois qui ne trouvent pas preneur actuellement, les employeurs doivent prendre les mesures qui s’imposent.

Quels leviers pour les entreprises ?

En conclusion, si le salaire reste la première cause de départs, l’attractivité des entreprises, donc la marque employeur, reste essentielle. C’est elle qui jouera un rôle déterminant à moyen et à long terme. En attendant de trouver des solutions durables au phénomène de grande démission en France, les entreprises ont recours à des leviers capables de pallier le changement de paradigme. Pour remplacer des dirigeants au pied levé, poursuivre les opérations sans subir les départs successifs, répondre aux contraintes managériales, le management de transition constitue une solution appropriée pour accompagner les changements.

En premier lieu, il s’agit d’identifier et de mettre en place des solutions durables pour attirer et fidéliser les talents. Les défis qui se présentent aux DRH et aux dirigeants sont de taille :

  • Écouter ses salariés,
  • Remettre l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée au cœur des priorités,
  • Offrir une qualité de vie au travail,
  • Revoir la forme du management et lutter contre le présentéisme
  • Etc

Ces aspects contribueront à remettre la balle dans le camp des employeurs. Il s’agira par-dessus tout de redonner, aux entreprises, un pouvoir qui semble aujourd’hui leur échapper, au son de la Grande Démission.

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